Revue (In)Disciplines | Pour une recherche inter et transdisciplinaire

La revue électronique (In)Disciplines se donne pour objectif d’encourager une dynamique d’échange interdisciplinaire et une réflexion sur la transdisciplinarité entre auteurs et lecteurs scientifiques. Elle se veut un lieu où anthropologues, linguistes, civilisationnistes, historiens, philosophes, spécialistes des lettres et des arts, de l’information et de communication et psychologues peuvent confronter idées, concepts, théories, pratiques, méthodes et résultats. La revue se veut réactive et en prise avec l’actualité des disciplines. C’est pourquoi, elle opte pour un modèle non périodique et privilégie la présentation de travaux dans le cadre de dossiers thématiques, qui pourront cependant faire l’objet d’appel à contributions. Outre les articles scientifiques et les recensions d’ouvrages, la revue peut aussi accueillir des travaux en élaboration afin de faciliter la communication rapide d’informations et la mise à l’épreuve des réflexions en cours. Elle publie également des contributions ayant trait à l’actualité et à l’évolution des disciplines.

Numéros

Dernier numéro en ligne

4. Créativité et émergence iconique

Sous la direction de Franck Guarnieri, Marc Marti, Céline Masoni

Du séminaire de recherche « Image(s). Fabrication, Narration, Signification » réunissant des chercheurs du Centre de Recherche sur les Risques et les Crises (CRC-Mines Paris Tech), de l’ESRA, et des laboratoires Espace (UMR 7300) de l’EUR Odyssée et du LIRCES (Laboratoire Interdisciplinaire Récits, Cultures et Société -UPR 3159) rattaché à l’EUR CREATES a émergé en décembre 2020 un colloque intitulé : « Créativité et émergence iconique : images, histoire, narrations », dont les articles qui composent ce numéro sont issus.

L’image, des Lettres aux Arts, des Sciences Humaines et Sociales aux Sciences de l’Ingénieur, est un objet de recherche nécessairement interdisciplinaire. Du schéma scientifique à l’œuvre d’art iconographique, audiovisuelle, elle est un des supports privilégiés de la créativité humaine, appréhendée dans son sens le plus large. Sans cesse réinventée et réinterprétée, elle est le témoin de nouveaux modes de pensée et d’action, de leur inscription dans le temps et de leur émergence dans tous les champs de la connaissance. Loin d’avoir un simple rapport analogique avec la pensée ou le réel, l’image possède aussi une capacité à déclencher la narration, en étroite relation avec son contexte culturel, dans lequel sont immergés producteurs et spectateurs. L’image développe encore la capacité à mobiliser des stéréotypes relevant de l’imaginaire social ; elle les donne à voir et les représente. Elle peut aussi être, en ce sens, un facilitateur de la cognition sociale. Les travaux en sémiotique visuelle du groupe μ (1992) ont su réformer le système des catégories rhétoriques saisissant ou « accommodant » la visualité. Les théories faisant dépendre l’image du langage verbal ou de la spécificité de leur sémiose ont ainsi pu être réinterrogées. D’Umberto Eco (1970) à l’École de Paris, de nombreuses recherches ont choisi d’explorer plus avant la visée pragmatique de la sémiotique du groupe μ. Cette ambition a animé également ce colloque, qui a convié des chercheurs de différentes disciplines à se saisir d’images artistiques, littéraires, médiatiques et scientifiques, afin d’interroger leur fabrication ou leur composition, ainsi que les spécificités socioculturelles et politiques de leur production ou de leur réception.

En ouverture de ce numéro, Aurélien Portelli explore le mythe de la fin du monde au prisme de la relecture télévisuelle de la théorie de l’effondrisme, que met en images et en récit la série L’effondrement (Parasites, Canal+, 2019). La représentation croisée de la violence, du danger et de l’espoir de survie traduit une fin incomplète du monde, renvoyant à une crise civilisationnelle ancrée dans l’imaginaire occidental depuis le XIXème siècle. S’appuyant sur l’analyse des mythes de la fin du monde de l’historien Lucian Boia, l’auteur identifie alors le moteur narratif de l’effondrisme, non plus dans cet imaginaire de la fin du monde, mais dans un imaginaire divinatoire, s’attachant plutôt à un déchiffrement de l’avenir.

Une première série d’articles ouvre différentes explorations de l’image en sciences sociales. À partir d’une ethnographie de terrain Benjamin Tremblay observe et analyse les pratiques des concepteurs d’expositions, qui problématisent, sculptent, utilisent, produisent, enregistrent, accumulent, trient, annotent, dupliquent des images, en vue d’en faire émerger quelque chose comme le « fil conducteur » d’une exposition.
Estéfano Rodríguez Peláez s’intéresse aux représentations parfois stéréotypées, toujours narrativisées des Gilets Jaunes dans les médias espagnols, issues des photographies des journées de manifestations. Le quotidien El País fait le choix d’une esthétique iconique, qui dévoile une mise en récit, encadrée par un guide de lecture.
Amadou Zan Traoré explore les codifications imagières d’une société traditionnelle ouest-africaine, les Bamanan du Bélédougou. L’image de l’individu, reposant sur un symbolisme explicite est une expression porteuse de son identité et une piste de lecture pour le cercle des initiés. Elle nécessite un décryptage initiatique, sous la dictée de la cognition sociale. Ces images sont analysées sous la perspective de leur portée au quotidien et de leur didactisme dans les arcanes confrériques Bamanan et la modernité.

La deuxième série d’articles engage des explorations esthétiques critiques.
Adrien Casimiro, analysant la fabrique de l’image chez Óscar Muñoz, nous invite à passer d’une ontologie de l’image à une pragmatique des images, qui parvient à dépasser le dualisme du sujet et de l’objet, et avec lui le modèle du miroir. Le régime intersticiel des images est ici exploré, la dimension de représentation déconstruite, pour affirmer la dimension deleuzienne d’effectuation. Les images sont agissantes. Les images chez Óscar Muñoz sont des interventions. Lou Freda interroge l’absence de la mère, qui génère la naissance de différents types d’images, comme le surgissement de stéréotypes. Plus avant : Comment cette absence permet-elle encore de questionner le rôle de la narratrice ? Comment la voix narrative réagit face à cette absence ? Comment comble-t-elle cette lacune ? L’absence de la mère permet encore l’émergence de symboles, plus précisément du symbolisme d’une société patriarcale engendré par l’absence de la mère. L’absence de la mère est une métaphore. Mais si la métaphore est image, qu’est l’image de l’absence ? Anna Battiston se demande comment, selon la formulation d’Umberto Eco, la « guérilla sémiologique » du groupe 70, mouvement de la néo-avant-garde italienne, signe une réappropriation iconique de la poésie, et engage une révolution politique, face au conservatisme du PCI et au rôle périphérique que la culture de masse, sous hégémonisme américain, lui attribuait.

2022